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Pauvres malheureux

Cet après-midi, en allant prendre le métro à Belleville, j’ai pris un tract. J’ai hésité une seconde avant de le faire parce qu’à cet endroit j’ai déjà vu des groupes de catholiques tendant une revue dont le titre m’échappe —j’hésite toujours entre un regard droit dans les yeux exprimant tout mon athéisme, ou un passage rapide comme s’ils n’existaient même pas— mais finalement je me suis dit qu’un jeune homme aux cheveux longs, avec une veste en cuir, une petite barbichette et un tract dans la main pouvait ressembler de loin à moi-même dans une autre situation, ou du moins à des amis, des gens que je connais ou des gens avec qui j’ai pu marcher côte à côte dans des manifs.

J’ai donc pris le tract, intitulé Contre toute autorité… Feu à volonté, content à la fois d’avoir fait une bonne action, d’avoir eu raison dans mes préjugés filogauchistes et surtout d’avoir l’opportunité de lire un peu ce que disent des gauchistes de Belleville, que je ne côtoie pas très souvent. Le tract n’était pas signé et l’illustrait la photo d’une jolie jeune fille vêtue d’un manteau de fourrure fumant et faisant un petit lance-flammes avec un aérosol et un briquet.

Le résultat? Pas mal de déception. Ça commence déjà avec le sous-titre « C’est la zermi couzin! », qui, c’est vrai, change un peu du jargon trotskiste et même du langage obscur et apocalyptique des tracts néo-situationnistes, mais qui semble un peu imposé. Et ça continue avec le premier paragraphe :

Pas le temps de vivre, plus la force après des heures de taff à part pour allumer la télé, se lamenter autour de quelques verres de mauvais alcool, d’antidépresseur ou de Subutex, une petite prière et au lit. Sept heures de sommeil nerveu[x] avant de recommencer la même journée de merde jour après jour, tout ça pour un peu de fric qui passera du porte-monnaie du patron à celui du propriétaire, d’un commerçant quelconque aux caisse de l’État. Facile de tomber dans la dépression, facile de lâcher prise, d’accepter son sort et de se dire que rien ne vaut le coup, d’abandonner tout espoir d’autre chose, de ne plus se soucier, face à sa propre misère, du sort des autres. En quelque sorte, chacun sa merde. (…) »

Sans vouloir tout de suite traiter les auteur-e-s d’adolescent-e-s bourgeois-es pleins de culpabilité ou en manque de mouvement social, j’ai l’impression qu’ils ou elles croient que les pauvres ne peuvent jamais être heureux. C’est sans doute un des plus gros problèmes d’une certaine gauche qui, malgré un certain « populisme » (la référence à la prière, ou, plus tard dans le texte aux émeutes de Clichy-sous-Bois ou Villiers-le-Bel, Londres et la place Tahrir) a dû mal à savoir ou à comprendre vraiment ce que vivent les pauvres. Et comme disait un oncle d’un ami, qui avait fait et perdu une belle fortune, « le problème de la misère c’est qu’on s’y fait ». Un pauvre ou, disons, quelqu’un qui travaille toute la journée pour un salaire assez maigre n’est pas forcément un alcoolique dépressif qui passe sa vie devant la télé. Il peut l’être, mais ça reste exceptionnel. Les pauvres peuvent avoir des enfants (pauvres eux-aussi), des amis, des amants, des passe-temps (pas trop chers), des passions (et pas seulement le foot, et si c’était le foot ce n’est pas moins une passion). Les pauvres peuvent avoir une vie sexuelle, et certainement ils peuvent atteindre l’orgasme.

Tout cela ne veut pas dire que c’est cool d’être pauvre ou que les suicidés de France Telecom étaient trop heureux dans leur vie et d’un coup ils déprimaient à cause d’un échec amoureux. Le tract continue avec un appel à la résistance ou à l’insurrection que l’on ne peut que partager… mais au fond les arguments restent décevants et ça ne convainc pas trop.

C’est toujours mieux que les vieilles cathos, hein.

J’ajouterai une image dès que j’aurai accès à un scanner.

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